Darwin, les coraux et l'utilisation de la vision pour penser (08/02/2009)

L'ouvrage "les coraux de Darwin" de l'historien d'art et philosophe Horst Bredekamp vient d'être publié en français.

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Dans la masse éditoriale que génère le bicentenaire cet ouvrage est vraiment à part du fait de son érudition et de son apport à l'histoire de la visualisation pour penser.

Dés l'introduction le ton est donné : "il n'est guère possible de sonder l'impulsion intellectuelle de Darwin, si l'on ne comprend pas qu'il possédait aussi l'esprit constructif de l'iconologue. (...) la valeur de la visualisation dans les sciences de la nature est moins souvent déterminée par le savoir-faire déployé que par la faculté d'accélérer le raisonnement. Puisqu'en règle générale, la main traduit mieux que le langage l'évidence immédiate de la pensée en mouvement, le détail apparemment le plus petit devient souvent le plus révélateur".

Horst Bredekamp traque donc dans les carnets (et non dans les textes) la pensée de Darwin en train de se construire et ses véritables intentions.

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Et les coraux dans tout cela ? Dans ce dessin de 1837 plus rien désormais ne rappelle un arbre.

"Darwin a inscrit la formule" I Think" au dessus de l'esquisse définissant ainsi le médium du dessin comme une membrane de la pensée.L'image n'est pas le dérive ou l'illustration, mais le support actif du processus intellectuel. " I think" : ainsi écrit le penseur et ainsi parle l'esquisse.

(...) Les ramifications du modèle corallien de Darwin n'évoluent pas seulement vers le haut mais foisonnent dans toutes les directions comme un relevé cartographique. (...) Le corail permettait non seulement de transmettre de façon particulièrement évocatrice l'image de l'évolution, à la manière d'un tableau de bataille avec des vivants vainqueurs et des morts pétrifiés (1)  mais il garantissait aussi par la forme de la croissance (2) , la dimension anarchique de l'évolution et contredisait en cela une conception mimétique du modèle de l'arbre" (notamment contre Lamarck)

Comment se fait-il alors que la figure de l'arbre soit resté l'icône de l'orthodoxie darwiniste ?

La confusion pourrait provenir de la hâte dans laquelle a été publié l'Origine des Espéces devant la concurrence redoutée d'Afred Wallace. Il a du faire vite : au lieu des 4 diagrammes prévus, un seul schéma couvrira désormais la feuille du diagramme originel de l'évolution.

Plus fondamentalement :

"Dans le fait que Darwin ne dise mot du motif de l'arbre dans son analyse du diagramme, et reste muet sur le diagramme dans son évocation de l'arbre de vie. Il  demeure un abîme révélateur de l'état complexe, et même parfois troublant, de l'homme qui touche, à travers les images, des sphères inaccessibles au langage. Ces images recèlent des idées qui nous donnent accès aux limites du discursif.

En bref "les images ne recouvrent jamais complètement les idées formulées par le langage".

La métaphore graphique darwienne des coraux n'a sans doute pas encore, deux siécles après, produite toute ses potentialités.

Nota bene : ce billet a fait l'objet d'un complément ici

(1) les fameuses branches mortes des coraux

(2) Chez les coraux les branches et les ramifications peuvent toujours produire de nouvelles unions même après leur division. Ceci n'est évidemment pas le cas chez les arbres.

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